Indicateurs de bien-être : une co-construction selon une approche bioculturelle
Well-being indicators: Using a biocultural approach for co-construction
PI: Sophie Caillon (IBC, CEFE, CNRS) et Ken MacDonald (Dpt. Geography, University of Toronto)
Résumé
Par la co-construction d’indicateurs de bien-être selon une approche bioculturelle (i.e. en valorisant les indicateurs co-construits avec les personnes engagées sur le terrain et mesurant les interactions entre nature et culture), nous tâcherons de mieux comprendre les relations entre savoirs, pratiques et paysages (i.e. liens sociaux et attachement au lieu) et plus généralement entre humains et non-humains. L’objectif de ce projet PICS est de développer selon une approche bioculturelle des indicateurs de bien-être intelligibles à la fois par les chercheurs, les agriculteurs et les décideurs politiques. Notre projet collaboratif vise à intégrer les diverses sources de savoir et à favoriser les échanges (1) culturels et géographiques entre le Canada (Niagara, région Ontario) et la France (Faugères et Gaillac, région Occitanie), (2) les scientifiques en écologie et ceux en sciences humaines et sociales, et entre (3) les scientifiques, les agriculteurs et les décideurs politiques.
Summary
Using a biocultural approach to co-construct indicators (i.e. by valuing indicators co-constructed with people engaged in the field and by measuring the interactions between nature and culture), we will elucidate the relationships between knowledge, practices and landscapes (i.e. social links and attachment to the place) and more generally between humans and non-humans. The objective of this PICS project is to develop, following a biocultural approach, well-being indicators intelligible to researchers, farmers and policy makers. Our collaborative project aims to synthesize various sources of knowledge and to encourage cultural and geographical exchanges (1) between Canada (Niagara, Ontario region) and France (Faugères and Gaillac, Occitanie region), (2) between scientists in ecology and those in the humanities and social sciences, and (3) between scientists, farmers, and policy makers.
Projet de recherche
1.Thématique
Depuis les premières mesures de l'indice de développement humain, des efforts ont en effet été faits pour mieux intégrer les conditions matérielles, la qualité de vie et la durabilité dans la définition du bien-être (Clark 2014, OCDE 2015). De nouvelles catégories d’indicateurs socio-environnementaux ont ainsi vu le jour, appelés Nouveaux Indicateurs de Richesse (NIR), Indicateurs de Développement Durable (IDD), indicateurs du “Sustainable Development Goals” (SDG) des Nations Unies ou Indicateurs de Bien-Être (IBE) (e.g. Stiglitz et al. 2010, Sébastien & Bauler 2013, Gadrey & Jany-Catrice 2012). La notion de bien-être traduit l’idée que la qualité de vie dépend de l’incidence d’un ensemble de circonstances spécifiques sur le ressenti qu’ont les individus de leur propre existence, et que la personne la mieux placée pour juger de la qualité d’une vie est l’intéressé lui-même (OCDE 2011).
Les approches bioculturelles que nous voulons mettre en œuvre dans ce projet reconnaissent et mettent l'accent sur les réalités des populations locales par le biais d'une approche privilégiant le point de vue locale, qui vise à éclairer la compréhension des relations complexes et des rétroactions entre les humains et leur environnement en intégrant les aspects biologiques et culturels d'un système (Maffi and Woodley 2010, Gavin et al. 2015, Sterling et al 2017-a, Caillon et al. 2017, McCarter et al. 2018).
Nous souhaitons développer une approche bioculturelle des indicateurs de bien-être qui nous semble performante pour révéler l’importance et les subtilités de deux grandes thématiques : les rapports à la nature et les liens sociaux entre les personnes (Masterson et al. 2017). Pour ce faire, nous nous appuyons sur la notion d’attachement au lieu, définie comme un lien affectif positif entre des individus et des lieux familiers (Altman & Low 1992). Il s’agit d’un concept multidimensionnel touchant à l’identité individuelle et collective, et présentant de fortes implications tant sociales, écologiques, politiques que spatiales (Sébastien 2016).
La création et la mesure d'indicateurs de bien-être par une approche bioculturelle peuvent contribuer à des stratégies de conservation équitables (Tanguay 2015, McCarter et al. 2017, Pascua et al. 2017, Sterling et al 2017-a, Zafra-Calvo et al. 2017). Ce processus de développement d'indicateurs de bien-être peut (1) faciliter le dialogue entre les populations locales et les décideurs œuvrant à des échelles plus globales, et entre les personnes de divers horizons réunissant une diversité d'expertises en sciences naturelles et sociales, (2) surmonter la dichotomie nature-culture qui rend souvent les approches globales incompatibles avec les approches locales en intégrant les diverses formes de relations à la nature, (3) incorporer les rétroactions entre les humains et leur environnement en mettant l'accent sur les processus, et pas seulement sur les états finaux, et (4) définir, mesurer et surveiller le bien-être écologique et humain dans son ensemble. Nous pensons que l'utilisation du même terme de « bien-être » pour les humains et les non-humains contribue à renforcer les interactions entre les humains et les non-humains (Caillon et al. 2017).
Nous souhaitons commencer nos premiers terrains d’enquêtes et de suivis en nous intéressant à la viticulture car elle met en scène des plantes pérennes et donc la pérennité des relations entre les humains et leurs plantes. Le monde de la viticulture offre un paysage très diversifié en termes de savoirs et pratiques associés à la gestion des ressources agricoles et environnementales, mais aussi en terme de relations à la nature, et de relations à autrui. C’est notamment le cas entre les terrains choisis en France (Faugères et Gaillac en Occitanie) et au Canada (Niagara en Ontario). Le terroir (paysage, écologie, histoire…), l’exposition au changement climatique (sécheresse à Faugères / évènements hivernaux extrêmes à Niagara), les institutions et les aides à la conversion biologique, le prix de la terre, les relations entre agriculteurs… sont autant d’éléments contrastants sur la manière dont les agriculteurs interagissent avec leur territoire. Ces oppositions nous permettront de tester notre méthode pour identifier des catégories supérieures d’indicateurs de bien-être.
2. Problématique
Quels sont les indicateurs de bien-être reflétant les liens sociaux et l’attachement au lieu (étudiés à travers les savoirs, pratiques et ontologies vis-à-vis des humains comme des non-humains) en France et au Canada ? Quelle est la diversité de ces estimateurs et la part de ces concepts dans la définition du bien-être des individus ? Si les indicateurs de bien-être sont connus pour être ancrés sur un territoire associé à une histoire et un contexte socioculturel particulier, nous aimerions identifier les catégories supérieures communes à l’ensemble des terrains. Comment s’articulent ces différentes catégories selon les contextes écologique, géographique et socioculturel (Faugères versus Gaillac; Occitanie versus Ontario), mais aussi selon la discipline des chercheurs engagés dans ce PICS (ethnoécologie, géographie et écologie) ?
Sachant que les nouveaux indicateurs de bien-être sont rarement utilisés de manière directe et instrumentale dans les prises de décisions politiques (Sébastien & Bauler 2013, Sébastien et al. 2014), nous questionnerons les potentiels usages des indicateurs développés dans ce projet en identifiant les acteurs impliqués et leurs interactions.
Chercheurs et unités de recherhe impliqués
Dans le cadre de projets portés par Eleanor Sterling et financés par le National Science Foundation - Catalyzing New International Collaborations (NSF-CNIC) et Science, Education, and Engineering for Sustainability (NSF-SEES), et le National Center for Ecological Analysis and Synthesis (NCEAS) - Science for Nature and People Partnership (SNAPP), nous avons travaillé sur la mise en place et l’utilisation d’indicateurs bioculturels mesurant la résilience dans un contexte insulaire, le Pacifique Sud (Sterling et al. 2017-a, 2017-b, Caillon et al. 2017).
D’autres collaborations pré-existent entre les chercheurs des différents laboratoires : Sophie Caillon (UMR5175), Mélanie Roy (UMR5174) et Léa Sébastien (UMR5602) collaborent sur le terrain de Gaillac en alliant des recherches en ethnoécologie, géographie et écologie (Fabregal et al. 2017).
Ken MacDonald et Scott Prudham travaillent sur les transitions agraires, la vinification collective et l'émergence de la viticulture biologique en Languedoc depuis deux ans (Prudham 2017). Ils ont particulièrement mis l'accent sur les départements de l'Hérault, de l'Aude et du Gard. Ils ont présenté leurs travaux en Espagne (MacDonald & Prudham 2017), et soumis un article (“Qualifying Tradition: Instituted Practices in the Making of the Organic Wine Market”) en révision dans la revue Agriculture and Human Values. Ken MacDonald porte un regard géographique sur les produits de terroir français depuis une dizaine d’années, comme l’atteste son travaille sur les fromages (MacDonald 2013).
Les chercheurs français de l’UMR5175 Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive apporteront des compétences naturalistes sur les terrains français, en particulier les écosystèmes méditerranéens. De plus, l’équipe “Interactions bioculturelles” a développé depuis de nombreuses années un savoir-faire interdisciplinaire ; travaillant sur des objets hybrides à l’interface entre sciences sociales et humaines et écologie (e.g. domestication, résilience, savoirs locaux naturalistes,...), les équipes sont par essence composées de chercheurs issus de disciplines distinctes qui ont l’habitude de travailler ensemble (cf. Sophie Caillon, Doyle McKey, Yildiz Aumeeruddy-Thomas, Delphine Renard, Rumsais Blatrix). Ce LIA permettra à un autre chercheur du CEFE, Pierre-André Crochet, spécialiste des oiseaux et des amphibiens, d’amorcer des recherches avec des chercheurs en sciences humaines et sociales. Deux chercheurs du CEFE n’ont pas pu être intégré dans la version électronique : Victoria Reyes-Garcia et Delphine Renard. Victoria Reyes-Garcia est chercheure à l’Université Autonome de Barcelone (Institución Catalana de Investigación y Estudios Avanzados), et est associée et hébergée au CEFE. Elle a été pionnière pour valoriser les méthodes mixtes alliant approches qualitative et quantitative en ethnoécologie. Delphine Renard a remporté un « Make Our Planet Great Again » (MOPGA) et commencera le projet au CEFE en septembre 2018. Elle y a notamment intégrée une thèse en co-direction avec Sophie Caillon sur l’adaptation au changement climatique des pratiques viticoles à Gaillac. L’UMR5174 Evolution et Diversité Biologique héberge Mélanie Roy, écologue, botaniste et spécialiste des réseaux d'interactions biotiques. Elle a une longue expérience du terrain de Gaillac où elle habite. Elle mène depuis plus de deux ans des inventaires botaniques dans les domaines de Gaillac avec les étudiants en écologie de l’Université de Toulouse. Elle a notamment montré que le terroir marquait profondément la composition floristique des domaines et qu’elle variait entre et sous les rangs de vigne (Fabregal et al. 2017). Par ailleurs elle est responsable d’un module en licence professionnel sur l’écologie de la viticulture, où les étudiants inventorient des espèces de plantes et oiseaux avec les viticulteurs de Gaillac.
Léa Sébastien est géographe au sein de l’UMR5602 Géographie de l’Environnement. Elle travaille sur les indicateurs d’attachement au lieu (Sébastien 2016, Sébastien & Bauler 2013) et a montré que les nouveaux indicateurs de bien-être sont rarement utilisés de manière directe et instrumentale dans les prises de décisions politiques (Sébastien & Bauler 2013, Sébastien et al. 2014), Elle désire enrichir son univers de recherche en créant des liens avec d’autres disciplines comme l’écologie.
L’équipe de l’AMNH partagera son savoir-faire sur la co-construction d’indicateurs, ses compétences didactiques pour l’enseignement (https://ncep.amnh.org/) et ses contacts et réseaux pour diffuser notre approche et les indicateurs développés dans le cadre du LIA au sein de la sphère internationale. Depuis 2006, et à travers plusieurs projets, l'équipe a collaboré avec des communautés locales et peuples autochtones pour explorer des pistes de gestion et d’adaptation culturellement appropriées et qui peuvent être communiquées efficacement aux niveaux national et international. Depuis 1999, l’équipe CBC de l’AMNH travaille à unir les praticiens et les éducateurs pour améliorer la mise en place de projets de conservation de la biodiversité en améliorant la formation, l'enseignement et l'apprentissage de la discipline biologie de la conservation.
L’équipe de l’Université de Toronto a des compétences écologiques, politiques, historiques et économiques à cette recherche. Plus particulièrement, elle apporte une vision critique des aspects sociaux et agronomiques associés à la production viticole dans l'Hérault et Niagara, en mettant l'accent sur les transitions contemporaines comme le choix d’un vin de qualité et l'émergence de pratiques viticoles et de certifications biologiques. L'équipe de l'Université de Toronto apporte un éventail de compétences interdisciplinaires au projet. L'équipe est composée de chercheurs qui ont l'habitude de travailler les uns avec les autres et partagent la supervision des étudiants (Ryan Isakson, Scott Prudham, Mike Ekers, Marney Isaac et Adam Martin). L'équipe de Toronto possède une expertise et une formation en agroécologie, résilience des agroécosystèmes, interactions plante-sol et analyse des réseaux sociaux (Isaac et Martin) et une expérience des pratiques des agriculteurs et de leurs interactions avec les environnements sociaux et écologiques (MacDonald, Isaakson et Ekers). Ceci est combiné avec des compétences en analyse institutionnelle et culturelle, et la pratique ethnographique (MacDonald et Prudham) qui s'est concentrée sur la production sociale de relations intégrales entre le lieu, la nature et la culture. Ils connaissent très bien le terrain de l’Hérault, où ils ont déjà conduit de nombreuses enquêtes avec plus de cinquante producteurs et représentants d'institutions (par exemple, des coopératives). Ils pourront ainsi faciliter l’accès de ce terrain à l’équipe française. De leur côté les chercheurs français déjà engagés sur le terrain de Gaillac seront heureux d’accueillir des chercheurs plus intéressés dans les structures coopératives. L'équipe de Toronto connaît également la région viticole du Niagara.